Salon des productions animales de Rennes

L'événement en France la semaine dernière a été le "Space", le Salon des productions animales de Rennes, au cœur de la Bretagne. Cette année encore, la manifestation a offert l'occasion d'examiner les problèmes auxquels sont confrontés les producteurs des différentes filières viandeuses.

Richard Cydzik

Ces problèmes ne sont pas minces et ils se traduisent par une désaffection croissante à l'égard du secteur animal, phénomène qui, en France plus qu'ailleurs, prend une dimension angoissante. Naguère encore fier de sa position de première puissance agricole d'Europe, ainsi que de sa souveraineté alimentaire, le pays risque en effet de faire face à très court terme à des pénuries de viande et de lait.

Toutes les viandes concernées

PouletSi les explications varient selon les secteurs, dans nombre de cas, les importations inconsidérées sont mises en cause. Par exemple dans le cas de la volaille, la viande la plus consommée chez nos voisins avec 28 kg par an et par habitant (devant le porc et le bœuf). «4 volailles sur 5 consommées en France sont des poulets, mais 1 poulet sur 2 est importé». En cause, un accord commercial conclu entre l'UE et l'Ukraine, autorisant l'importation à droits nuls sans contingents de volumes! Conséquence: les importations de volailles ukrainiennes produites à bas coûts ont, en quelques années, crû de 137%, déséquilibrant le marché européen. On notera au passage que les volailles ukrainiennes sont produites dans des poulaillers gigantesques, qui plus est appartiennent à un seul "oligarque"... Rien à voir avec les modèles familiaux prévalant sur le Vieux Continent.

Le lait, victime de l'après-quotas

LaitJadis deuxième productrice de lait en Europe, la hantise de la France est à brève échéance (dès 2027) de manquer de lait pour répondre à la demande de ses propres consommateurs. La baisse de la collecte s'accélère en effet d'année en année au point que le pays risque de perdre sa souveraineté laitière. Un véritable choc culturel: la France est en effet historiquement excédentaire en lait, jusqu'à exporter près de 40% de sa production. Les temps changent: les éleveurs en activité vieillissent et le renouvellement des générations tarde à s'opérer. Et pour cause: les vocations se font de plus en plus rares pour un travail rude et exigeant en temps passé sur l'exploitation. Même si la mécanisation et la digitalisation croissantes améliorent les conditions. Par ailleurs, si les prix sont rémunérateurs depuis plusieurs mois (mais l'envolée semble déjà quelque peu retombée), l'incertitude continue à planer sur un secteur qui a subi des crises à répétition depuis la fin du régime des quotas en 2015. Depuis lors, le constat est éloquent: 30.000 éleveurs en moins et un cheptel amputé de 400.000 vaches. Les agriculteurs ne sont pas nécessairement perdus pour la profession: nombre d'entre eux ayant fait le choix de s'orienter vers d'autres productions agricoles moins exigeantes et plus rémunératrices.

Viande bovine

Viande bovineCible privilégiée des écologistes de tous bords (car il en existe dans tous les partis), l'élevage bovin viandeux doit, en France, (la situation est comparable dans d'autres pays), faire face à un double phénomène: une consommation de viande indigène en baisse et des importations qui augmentent. Dans ce secteur aussi, les producteurs sont malmenés. Tout récemment encore, la Cour des Comptes d'outre-Quiévrain a pointé du doigt le fait que les bovins sont trop nombreux car ils émettent trop de gaz à effet de serre. Après les attaques des écologistes plaidant pour le végétarisme ou le véganisme avec des slogans trompeurs ("steaks" de soja, "lardons" végétaux, "rillettes" végétales…), le rapport critique de la Cour des Comptes a constitué la goutte d'eau qui a fait déborder le vase: nombre d'éleveurs ont fait le choix, la mort dans l'âme, de s'orienter vers les céréales.

Concurrence faussée

Le "Space" s'est ainsi ouvert le 12 septembre "sous un ciel plombé" pour les éleveurs, indiquait le quotidien Le Figaro dans un article significativement intitulé "le grand blues des éleveurs". Un profond sentiment d'injustice sape le moral de ceux-ci. Aujourd'hui, 30% de la consommation bovine du pays est assurée par des importations, notamment extra-européennes, dont il est loin d'être garanti qu'elles correspondent aux normes de production de l'UE. Par ailleurs, les émissions de GES de l'élevage, à base de consommation de végétaux, peuvent-elles être comparées à celles dues à l'usage d'énergie fossile? Si souvent désigné à la vindicte de l'opinion, pour des raisons la plupart du temps dues à l'ignorance, les vertus de l'élevage, "vecteur de biodiversité, responsable du stockage de carbone ou encore de production nette de protéines" sont allègrement perdues de vue. Toutes données contribuant à une désaffection à l'égard du secteur. Un Professeur de Sciences Po Aix-en-Provence commente: «le métier, avec ses nombreuses contraintes, n'attire plus autant les jeunes. Les éleveurs pâtissent d'une mauvaise image car ils sont accusés par certains activistes de polluer. Tout cela pour des revenus qui sont les plus bas de la profession agricole».

Et pourtant...

En dépit de ce tableau plutôt sombre, les données macro-économiques apportent néanmoins une lueur d'espoir. Un rapport sur les "Perspectives agricoles 2023-2032" rédigé par la FAO et l'OCDE - dont les travaux sont toujours solidement étayés - fait état d'une hausse prévisible de la consommation mondiale de viande, dans les prochaines années. «Augmentation démographique et progression du pouvoir d'achat engendreront une croissance de 10% de la consommation mondiale de viande bovine» estime en particulier l'OCDE. Certes, dans l'UE, comme aux Etats-Unis, la consommation de viande rouge devrait plutôt régresser au profit des viandes blanches. Les pays émergents, Chine en tête, verraient en revanche leur consommation sensiblement augmenter, mais couvriront majoritairement celle-ci par une hausse leur production. Brésil et Etats-Unis maintiendront leurs positions, tandis que l'Argentine, le Paraguay et l'Australie accroîtront les leur.  Mais l'Union européenne «a également sa carte à jouer»: c'est ainsi que les deux institutions internationales estiment que les exportations européennes de viande bovine pourraient progresser de près d'un million de tonnes dans les prochaines années. Petite lumière réconfortante à l'horizon?